Le lièvre et la tortue

Le lièvre et la tortue

Le lièvre et la tortue

Rien ne sert de courir ; il faut partir à point.
Le Lièvre et la Tortue en sont un témoignage.
Gageons, dit celle-ci, que vous n’atteindrez point
Sitôt que moi ce but. – Sitôt ? Êtes-vous sage ?
Repartit l’animal léger.
Ma commère, il vous faut purger
Avec quatre grains d’ellébore.
– Sage ou non, je parie encore.
Ainsi fut fait : et de tous deux
On mit près du but les enjeux :
Savoir quoi, ce n’est pas l’affaire,
Ni de quel juge l’on convint.
Notre Lièvre n’avait que quatre pas à faire ;
J’entends de ceux qu’il fait lorsque prêt d’être atteint
Il s’éloigne des chiens, les renvoie aux Calendes,
Et leur fait arpenter les landes.
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter
D’où vient le vent, il laisse la Tortue
Aller son train de Sénateur.
Elle part, elle s’évertue ;
Elle se hâte avec lenteur.
Lui cependant méprise une telle victoire,
Tient la gageure à peu de gloire,
Croit qu’il y va de son honneur
De partir tard. Il broute, il se repose,
Il s’amuse à toute autre chose
Qu’à la gageure. À la fin quand il vit
Que l’autre touchait presque au bout de la carrière,
Il partit comme un trait ; mais les élans qu’il fit
Furent vains : la Tortue arriva la première.
Eh bien ! lui cria-t-elle, avais-je pas raison ?
De quoi vous sert votre vitesse ?
Moi, l’emporter ! et que serait-ce
Si vous portiez une maison ?

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Le poisson et le pêcheur

Le poisson et le pêcheur

Le poisson et le pêcheur

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui preste vie.
Mais le lâcher en attendant,
Je tiens pour moi que c’est folie ;
Car de le rattraper il n’est pas trop certain.
Un Carpeau qui n’était encore que fretin,
Fut pris par un Pêcheur au bord d’une rivière.
Tout fait nombre, dit l’homme en voyant son butin ;
Voilà commencement de chère et de festin :
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre Carpillon lui dit en sa manière :
Que ferez-vous de moi ? je ne saurais fournir
Au plus qu’une demi bouchée,
Laissez-moi Carpe devenir :
Je serai par vous repêchée.
Quelque gros Partisan m’achètera bien cher,
Au lieu qu’il vous en faut chercher
Peut-être encor cent de ma taille
Pour faire un plat. Quel plat ? croyez-moi ; rien qui vaille.
Rien qui vaille ? eh bien soit, repartit le Pêcheur ;
Poisson mon bel ami, qui faites le Prêcheur,
Vous irez dans la poêle ; et vous avez beau dire,
Dès ce soir on vous fera frire.
Un tien vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras :
L’un est sûr, l’autre ne l’est pas.

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Le chien et le loup

Le chien et le loup

Le chien et le loup

Un Loup n’avait que les os et la peau ;
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde.
L’attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l’eût fait volontiers.
Mais il fallait livrer bataille ;
Et le Mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
Le Loup donc l’aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint qu’il admire.
« Il ne tiendra qu’à vous beau Sire,
D’être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, haires, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? Rien d’assuré ; point de franche lippée ;
Tout à la pointe de l’épée.
Suivez-moi ; vous aurez un bien meilleur destin. »
Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ?
– Presque rien, dit le Chien ; donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons ;
Os de poulets, os de pigeons ;
Sans parler de mainte caresse. »
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé :
« Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose.
– Mais encor ? – Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
– Attaché ? dit le Loup ; vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? – Pas toujours, mais qu’importe ?
– Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. »
Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor.

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La cigogne et le renard

La cigogne et le renard

La cigogne et le renard

Compère le Renard se mit un jour en frais,
et retint à dîner commère la Cigogne.
Le régal fut petit, et sans beaucoup d’apprêts ;
Le galand pour toute besogne
Avait un brouet clair (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La Cigogne au long bec n’en put attraper miette ;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
À quelque temps de là, la Cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.
À l’heure dite il courut au logis
De la Cigogne son hôtesse,
Loua très fort la politesse,
Trouva le dîner cuit à point.
Bon appétit surtout ; Renards n’en manquent point.
Il se réjouissait à l’odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande.
On servit, pour l’embarrasser,
En un vase à long col et d’étroite embouchure
Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer,
Mais le museau du Sire était d’autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un Renard qu’une Poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l’oreille.
Trompeurs, c’est pour vous que j’écris :
Attendez-vous à la pareille.

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Le lion et le rat

Le lion et le rat

Le lion et le rat

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d’un plus petit que soi.
De cette vérité deux Fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d’un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l’étourdie.
Le Roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu’il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu’un aurait-il jamais cru
Qu’un Lion d’un Rat eût affaire ?
Cependant il avint qu’au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage,
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

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Le chêne et le roseau

Le chêne et le roseau

Le chêne et le roseau

Le Chêne un jour dit au Roseau :
Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ; Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau. Le moindre vent qui d’aventure Fait rider la face de l’eau, Vous oblige à baisser la tête : Cependant que mon front, au Caucase pareil, Non content d’arrêter les rayons du Soleil, Brave l’effort de la tempête. Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphir. Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage Dont je couvre le voisinage, Vous n’auriez pas tant à souffrir : Je vous défendrais de l’orage ; Mais vous naissez le plus souvent Sur les humides bords des Royaumes du vent. La nature envers vous me semble bien injuste. — Votre compassion, lui répondit l’Arbuste, Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci. Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici Contre leurs coups épouvantables Résisté sans courber le dos ; Mais attendons la fin. Comme il disait ces mots Du bout de l’horizon accourt avec furie Le plus terrible des enfants Que le Nord eût porté jusque-là dans ses flancs. L’Arbre tient bon ; le Roseau plie. Le vent redouble ses efforts, Et fait si bien qu’il déracine Celui de qui la tête au Ciel était voisine, Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts.

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